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Rouad : LE DRAPEAU FRANÇAIS SUR UN ÎLOT DE LA CÔTE


portrait de luc-olivier merson
Luc-Olivier Merson (1846-1920)
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L'Illustration du 2 Octobre 1915
« Le Drapeau Français sur un îlot de la côte »
Article de l'Illustration du 2 Octobre 1915


[NOTA : En rouge et entre crochets, les annotations de T. Coppolani, car compte-tenu de la période de guerre et des précautions demandées à la presse de l'époque, aucun nom n'est cité dans ces deux articles]

LE DRAPEAU FRANÇAIS SUR UN ÎLOT DE LA CÔTE


S'il est vrai, selon une parole célèbre, que les petits faits surtout expliquent l'histoire, cette prise de possession de l'île Rouad, sur la côte de Syrie, qui vient d'être accomplie par un des chefs de nos escadres vaut qu'on s'arrête à ses détails afin de pouvoir mieux comprendre plus tard ses conséquences.
Plan de l'île Rouad
Plan de l'île Rouad

Il suffit d'ailleurs que ce point appartienne à la Syrie pour que toute action française qui le concerne retienne l'attention de ceux qui n'ont jamais cessé de voir'; à travers les rêves et les réalités de l'Histoire, une autre France dans ce coin prestigieux de l'Orient.
En Méditerranée. septembre.

Vue générale de l'île Rouad, devant la côte de Syrie, entre Tartous et Amrit.
Vue générale de l'île Rouad, devant la côte de Syrie, entre Tartous et Amrit.

Voici la narration de ce fait historique par un cor­respondant qui fut spectateur des divers actes de l'occupation :

Au Sud-Ouest de Tortose (maintenant Tartous), la vieille cité dont les cloches envoyaient leur chanson assourdie jusqu'aux oreilles de Mélissinde « la Princesse lointaine », à 2 kilomètres environ de la côte entre Tripoli de Syrie et Alexandrette, il est une petite île curieuse et pittoresque qui, depuis plusieurs jours, a pris une importance qu'elle ne connut sans doute que jadis, aux temps les plus reculés de la civilisation phénicienne: l'île Rouad, l'Arvad des Phéniciens, Arados des Grecs, Aradus des Latins.
Sur une assise rocheuse de forme ovale, mesurant environ 500 mètres sur 800, s'est bâtie une de ces petites villes levantines, fouillées de ruelles étroites, d'extraordinaires impasses et de maisons à ter­rasses, faisant flamboyer leurs façades blanches qu'éclaire le soleil d'Orient dans le décor toujours bleu de la Méditerranée.
Tout à l'entour de l'île, les restes d'une enceinte, dressant vers le ciel d'invraisemblables rocs grossièrement taillés, viennent nous raconter le passage des Phéniciens; au sommet de l'île une forteresse sarrasine, près du port un château aux tours massives nous disent le passage des Croisés et des conquérants musulmans.

Comme toutes les cités levantines, Rouad eut une histoire troublée; elle connut les civilisations les plus diverses ; mais, chose curieuse, les différents dominateurs de l'île n'éprouvèrent pas le besoin, ici comme trop souvent ailleurs, de détruire les vestiges subsistants de leurs prédécesseurs. A Rouad, le temps et le manque d'entretien sont les seuls coupables. Tout éboulés qu'ils sont, les vieux pans de murs phéniciens constituent un des plus beaux restes existants de ce genre d'architecture.
De vieilles colonnes polies par les flots qui gisent çà et là sur le rivage, les fondations taillées dans le roc d'une ville aujourd'hui disparue, ces vieux murs plusieurs fois millénaires, tout parle du passé dans cette petite île qu'habite maintenant une paisible population de 3.000 à 4.000 âmes remontant, d'après Strabon, à des fugitifs de Sidon.

Rouad, 1915 : Le débarquement des marins français, vu de la mer
Le débarquement
des marins français,
vu de la mer
Rouad, 1915 : L'Amiral débarque devant la citadelle
L'Amiral [Dartige du Fournet] débarque
devant la citadelle


Au début de la guerre avec la Turquie, toute pêche, tout cabotage avaient cessé, empêchés qu'ils étaient par la croisière française; les autorités turques, inquiétées par le voisinage de nos croiseurs, n'avaient pas tardé à évacuer l'île, la laissant dans une indépendance presque complète.
Le blocus des côtes de Syrie, officiellement proclamé depuis quelque temps, n'avait fait qu'isoler plus encore de la côte la population de l'île.
La domination turque qui depuis plusieurs mois n'existait plus qu'à l'état nominal est maintenant abolie.
Le 1er septembre 1915, à 9 heures du matin, l'amiral commandant l'escadre française du Levant, à la demande des habitants de l'île et avec l'autorisation du gouvernement, a arboré nos trois couleurs sur Rouad, devenue terre française.
Depuis deux jours, un cuirassé et un croiseur cuirassé de l'escadre du Levant, battant pavillons de deux de nos amiraux, étaient mouillés devant l'île. Bien que pacifique, l'occupation de ces quelques hectares de terre syrienne réclamait une solennité, symbolisant l'importance que la France devait lui attribuer. Elle fut minutieusement réglée dans tons ses détails.



Rouad, 1915 : « AU DRAPEAU! » - Les couleurs françaises montent au mât de pavillon dressé sur la tour du vieux château de Rouad
« AU DRAPEAU! » - Les couleurs françaises montent au mât de pavillon dressé sur la tour du vieux château de Rouad


A 6 heures du matin, le 1er septembre, sur le pont des deux bâtiments français [Le Jaureguiberry et le D'Estrées] , s'assemblent la future garnison et les compagnies de débarquement impatientes de prendre pied en terre turque.
Au signal, à 7 heures, les embarcations poussent des deux navires, chapelets de chaloupes et de canots qu'émaillent joyeusement les cols bleus et les coiffes blanches de nos marins. Serpentant à travers un fouillis de goélettes, hier encore forcées de fuir devant notre pavillon qui demain les protégera, les embarcations. accostent bientôt dans le fond du vieux port.
La population, sympathiquement curieuse, as­siste au débarquement, visiblement impressionnée par l'allure militaire de nos marins portant allégrement l'as de carreau. Puis la compagnie se forme sur la plage de galets, devant deux vieux moulins turcs.
Longeant un invraisemblable quai, assemblage désordonné d'énormes pierres à peine équarries, de vieilles colonnes à chapiteau qui sous leur manteau de mousse évoquent la splendeur passée, nous nous rendons au pied de la citadelle par des rues aussi tortueuses qu'étroites. A la terrasse de petits cafés qui, empiétant sur la rue, en réduisent encore la largeur, de vieux Arabes à barbe blanche regardent, sans paraître étonnés, passer ces uniformes qu'ils ne connaissent pas.
Au pied des murs de la citadelle, les troupes se forment; au fond, sous les créneaux de la vieille tour, est mise en batterie une section de deux mitrailleuses qui, par leur silhouette étrange, intriguent fort les indigènes.
Une escouade est restée sur le quai pour rendre les honneurs. Une première fois la sonnerie du « Garde à vous » éclate dans l'atmosphère étouffante. Elle annonce l'arrivée d'un contre-amiral français qui, assisté du gouverneur nouvellement nommé, des notables de l'île et des officiers déjà débarqués, va recevoir à terre le vice-amiral commandant l'escadre française du Levant, que salue bientôt un deuxième « Garde à vous », suivi de la sonnerie « Aux Champs ».
Sur la place, les troupes sont au garde à vous. - Présentez armes!
Au milieu des troupes immobiles et de la population impressionnée par cet apparat, le cortège débouche sur la place et le vice-amiral passe une brève revue.
Avant de hisser notre pavillon, il importait de renseigner la population sur nos intentions.
C'est ce qui fut fait par une proclamation chaleureusement applaudie que lut un drogman à la foule et aux notables assemblés au nombre d'une trentaine.
Le vice-amiral commandant l'escadre exposait que la France commande à une population de 40.000.000 de sujets musulmans qui n'ont qu'à se louer de sa tutelle; qu'il annexait l'île à la France; que les croyances des habitants de Rouad seraient respectées; enfin qu'il comptait sur eux comme ils pouvaient compter sur lui.


Rouad, 1915 : Le Cheik répond à l'Amiral par une invocation à Allah pour le succès des armes françaises
Le Cheik répond à l'Amiral
par une invocation à Allah pour
le succès des armes françaises


Alors, sur. un ton étrange de mélopée arabe, le vieux cheik à barbe blanche remercie les Français et adresse à Allah pour le succès de leurs armes une touchante invocation. Ce n'est pas un discours, ce n'est pas une proclamation, c'est une prière que ce vieux croyant psalmodie lentement en. notre hon­neur et à laquelle répondent en sourdine les notables, comme des fidèles à des litanies.
« Allah, dit-il, a créé les royaumes, mais il en donne la domination à qui lui semble bon. Je sais que dans le Mogreb de nombreux musulmans vivent heureux sous la protection de la France. Notre île, j'en suis sûr, ne pourra que l'apprécier. Qu'Allah donne la victoire aux armes de la France qui combat pour le droit et la justice! »
Et ce souhait est une nouvelle et indéniable preuve de la vivacité des racines que la France sut jadis implanter dans ce pays fécondé par le sang de nos Croisés.
Il ne reste plus qu'à consacrer l'annexion en arborant sur l'île les couleurs françaises.
« Au drapeau! » commande le gouverneur, que l'amiral vient de présenter officiellement.
Et, sur le château croisé, au sommet de la vieille tour tout étonnée d'entendre ses échos réveillés par le chant des clairons de France. monte lentement l'étamine aux trois couleurs.
Puisse notre pavillon flotter bientôt, ayant enjambé le fossé qui sépare Rouad de la côte de Syrie, sur les altières forteresses que nos aïeux, rois de Syrie, de Palestine, de Jérusalem, semèrent jadis sur cette terre qui aujourd'hui encore se souvient de leur passage!



Rouad, septembre.

... Pendant que nos grands bâtiments mouillés au Nord tenaient Tortose et l'îlot sous le feu de leurs canons, des détachements de l'escadre prenaient possession de Rouad sans rencontrer de résistance.
D'ailleurs, l'île est sans défense puisque nous n'y rencontrons pour toute garnison que deux paisibles gendarmes, dont un nègre, qui s'empressent de nous offrir leurs services, et un fonctionnaire turc à peine débarqué qui venait de Beyrouth pour payer - je parle très sérieusement ­l'indemnité due aux femmes des mobilisés et qui, heureux de l'occasion, chercha à s'enfuir avec l'argent.
Quant à la population, entièrement composée d'Arabes musulmans et absolument hostile à la domination turque, elle avait fait demander par ses notables qu'on ne l'abandonnât pas une fois le pavillon français hissé sur l'île.


Rouad, 1915 : Les restes des vieux murs phéniciens de l'île Rouad
Rouad, 1915 : Les restes des vieux murs phéniciens de l'île Rouad

Les restes des vieux murs phéniciens de l'île Rouad


... La cérémonie terminée, nous pûmes visiter Rouad. Voici, au milieu d'un quai étroit et tortueux, parmi le fouillis de petites maisons éclatantes de blancheur, un grand balcon sur pilotis avec une toiture de feuillage desséché: c'est en quelque sorte le casino de l'endroit, un lieu de réunion, de flânerie, où, le jour et tard dans la nuit, les Arabes vont boire les petites tasses de café et fumer le narghilé, enfin satisfaire ce goût de rêverie en commun, si cher à toute cette race et qui trouve ici un cadre et des circonstances propices: le va-et-vient incessant des barques dans l'immense panorama de la côte voisine, les heures lourdes du jour qui endorment la pensée, le mystère des nuits étincelantes, plus profondes peut-être ici que par tout l'Orient.
.. Le Petit-Château est bien conservé; c'était une fortification probablement puissante. Il renferme encore aujourd'hui neuf pièces en bronze, dont une colonnade gisant à même le sol derrière les embrasures.
De son sommet, la vue s'étend au loin sur tout l'îlot, sur la mer et sur la côte. On ne voit que des terrasses, de la verdure, des jardinets remplis de treilles, de grenadiers, de courges... En sortant du Petit-Château, il faut parcourir des ruelles étroites admettant au plus deux personnes de front.
Nous y rencontrons des femmes et des fillettes dont le premier geste est de s'enfuir, de se cacher, de se voiler le visage. Mais, bien vite, les enfants se rassurent et re­viennent. . Les femmes entre-bâillent les portes de leurs demeures et risquent, elles aussi, un coup d'œil furtif, en soulevant leur voile qu'elles rabattent précipitamment. Enfin, nous arrivons à l'angle N.-O. de l'îlot. Là, utili­sant les récifs qui le bordent, les Phéniciens avaient construit une forteresse dont il reste de distance en dis­tance quelques fragments cyclopéens. Elle fut à n'en pas douter formidable et très étendue. Entre ses murailles et la terre, on lit son emplacement et on délimite ses chambres par leur sol pavé de mosaïques grises d'un beau caractère, et la mer se joue dans ses ruines...


Rouad, 1915 : L'Officier de la Marine française devenu Gouverneur de l'île
L'Officier de la Marine française
[Le Capitaine de Frégate A. TRABAUD
venu à bord de la Jeanne d'Arc]

devenu Gouverneur de l'île
Rouad, 1915 : Pierre sculptée dans une muraille
Pierre sculptée dans une muraille


... La vie commerciale et maritime de Rouad ne paraît pas très intense. Sa principale industrie consiste dans la pêche d'éponges réputées pour leur grande finesse, à laquelle se livrent 60 à 80 goélettes, maintenant immobilisées au mouillage de Rouad depuis le début de la guerre avec la Turquie.
La population a été de suite en confiance; les enfants viennent volontiers se grouper autour de nous; ils sont éveillés et jolis, et rien n'est amusant comme la silhouette des fillettes émergeant de pantalons à la juive et portant souvent sur la hanche des bébés de quelques mois.
Afin que nul, en Syrie, ne puisse feindre d'ignorer notre occupation, affirmée dans la journée par le fait de notre pavillon flottant sur l'île et dans la nuit par la remise en marche du phare qui était éteint depuis le début de la guerre, le vice-amiral commandant l'escadre a envoyé au vali de Beyrouth une lettre officielle dans laquelle il lui dit qu'il a occupé Rouad au nom de la France, et que toute tentative d'attaque contre la garnison et la population sera immédiatement suivie de représailles contre Tortose et même contre Beyrouth.
La garnison possède mitrailleuses et canons, et c'est, un lieutenant de vaisseau, nommé gouverneur de l'île, qui la commande. Un médecin de 2e classe assure le service médical du détachement va organiser un dispensaire dans l'île, où cette nouvelle a été accueillie avec joie par tous les habitants. De même l'école fermée depuis trois mois va être ouverte de nouveau et la langue française sera enseignée... Toutes mesures qui auront en Syrie un tel retentissement que ce minuscule îlot turc, ce n'est pas simplement le passereau que l'on capture, mais un empire qui tombe...

© L'Illustration N° 3787, 2 Octobre 1915


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Toussaint COPPOLANI
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