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Luc Olivier Merson, par Raymond Bouyer - Gazette des Beaux-Arts
par RAYMOND BOUYER, Gazette des Beaux-Arts Juillet 1922
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que révélait, parmi tant d'autres, l'exposition du printemps dernier. C'est le costume historique, mais cette fois,
en pleine idylle amoureuse,
qui se montre, en 1890, à Chantilly,
au pavillon de Sylvie, dans un :décor de verdure au bord d'un étang1 .
Dans la courte préface du catalogue de l'exposition posthume, M. Dagnan-Bouveret souhaitait qu'un critique d'art écrivît un livre sur la vie et l'œuvre de cet éminent travailleur dont le caractère explique le talent: il faudrait un volume, en vérité, pour
énumérer seulement tous ses travaux de décorateur ou d'illustrateur et pour le suivre en chacun d'eux: à la nouvelle Sorbonne,
dans le cabinet du recteur, où son pinceau figure La Science hautaine et grave entre le Maître et l'Élève, entourée de cinq figures allégoriques:
Les Lettres, Les Sciences, La Médecine, Le Droit et L'École des Chartes; - à l'Hôtel de ville. dans
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ILLUSTRATION
PUR « L'IMAGIER » DE JULES LEMAITRE
DESSIN DE LUC-OLIVIER MERSON (1890) |
l'escalier d'honneur du salon des Fêtes, éclairci par une abondante et lumineuse décoration qui se sert du cadre imposé des coupoles
et des panneaux latéraux pour styliser gaiement les douze mois de l'année parisienne et personnifier joliment La Toilette, L'Éclairage, Les Fleurs,
Les Fruits, Le Chant, Les Rafraîchissements, La Danse et La Musique 2; - à l'Opéra-Comique, enfin, dans l'escalier d'honneur du côté gauche,
où se résume toute une carrière en la plus expressive des antithèses: au beau panthéisme de La Poésie dans l'antiquité,
1. Le poète Théophile de Viau et la duchesse de Montmorency (1623); - Mlle de Clermont et M. de Melun au pavillon de Sylvie
(1724), d'après un roman de Mme de Genlis.
2. Travail immense à lui seul, fait en collaboration avec l'élève et l'ami du maître,M Adolphe Giraldon.
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ÉTUDE DE DRAPERIE DESSIN POUR UNE DÉCORATION
DE L'HOTEL DE VILLE DE PARIS PAR LUC-OLIVIER MERSON
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qu'inspire noblement la splendide nudité de la Nature, s'oppose
La Musique au Moyen-âge où la douceur un
peu grise de l'Ile-de-France enveloppe la pittoresque résurrection des hennins pointus, des voiles fins sur les robes longues et des instruments
anciens; l'étonnante vraisemblance d'une scène imaginée fait de cette page harmonieuse le chef-d'œuvre le plus personnel d'un classique original
en sa correction. Mais n'allons pas oublier le plafond, d'une envolée mélodique en sa courbe légère,
qui fait passer L'Hymne, l'Élégie et la Chanson devant la Musique sur un ciel apaisé comme la pensée de l'artiste.
Et qui pourrait se flatter de ne rien omettre de sa contribution persévérante à toutes les branches de l'art décoratif, qu'il a renouvelé
l'un des premiers par le seul instinct de son goût? Cartons de tapisseries pour la devise des Gobelins, la Bibliothèque nationale ou le Palais de La Haye,
cartons de vitraux, plus nombreux encore, pour tant d'hôtels particuliers ou d'églises des deux mondes, modèles de mosaïques pour le Monument Pasteur
(les Anges de la crypte) ou pour la voûte absidale du Sacré-Cœur, dessins d'une cheminée monumentale à l'hôtel Gouin, de la coupe du Musée des Arts
décoratifs,
exécutée par Falize1, et du menu talisman qui pouvait le plus sûrement populariser son nom, le billet de cent francs: quelle richesse inventive
une simple et sèche énumération ne suppose-t-elle pas?
Fécondité, variété: ces deux signes de l'imagination créatrice ne caractérisent pas l'ImagInation créatrice ne caractérisent pas moins l'apport
d'un illustrateur à la décoration du livre; depuis le Lutrin de Boileau (1889)
1. V. Gazette des Beaux-Arts, 1896, l. II, p. 122.
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LA MUSIQUE AU MOYEN-AGE PAR LUC-OLIVIER MERSON (1898) (Théâtre National de l'Opéra-Comique, Paris)
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jusqu'aux Nuits de Musset (1911), romans, contes, poèmes, paroissiens, journaux illustrés, couvertures, programmes, ex-libris
se succèdent sans trêve, et c'est une dépense constante d'ingéniosité linéaire, où l'arabesque ornementale encadre un petit monde d'images plaisantes
ou tragiques.
Émouvant ou spirituel, mais toujours décoratif, ce dessinateur ne montre pas seulement le don de la stylisation quand il s'attaque à Notre-Dame de Paris,
à L'Imagier,de Jules Lemaître, à Saint Julien l'Hospitalier de Flaubert, à La Jacquerie de Mérimée, aux lapidaires sonnets, des Trophées, mosaïque
suggestive par le pouvoir des mots sonores et des rimes riches, qui font luire à des yeux de peintre toute la magie de l'espace
PAYSAGE, DESSIN REHAUSSÉ PAR LUC-OLIVIER MERSON
et du temps, depuis les ruines radieuses de la Grèce antique jusqu'aux noires mélancolies de la mer bretonne: ici, l'artiste se dévoile très différent
du poète, car son illustration des Trophées place la grâce au-dessus de la force; mais, depuis l'ampleur de Victor Hugo jusqu'à la concision d'Hérédia,
l'intelligence de la traduction figurée fait constamment pressentir la piété déférente de l'interprète pour son texte; or, partout, la légende
l'attire: un instant, la Tétralogie le hante, et la précision de son fantastique est aussi distante des songes vaporeux de Fantin-Latour
que du trait caricatural de Rackham. De Wagner à Virgile, ce sera la dernière étape de l'illustrateur; mais le Moretum reste inédit.
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Au surplus, avec quel visible contentement l'admirateur des primitifs ne revient-il pas toujours à son cher Moyen âge ? Et cette prédilection, pour conclure, nous permettra de confronter deux noms: la seule coïncidence des dates,
qui les rapproche dans le secret de la mort, définit d'autant mieux
ce qui les sépare; en une longue et triple carrière de peintre, de décorateur et d'illustrateur, où chacun d'eux a prouvé que l'interprétation du Moyen âge
n'exige point pour auxiliaire obligatoire l'emportement du romantisme, ils n'auront manifesté de commun que la dignité de leur indépendance et
la probité de leur conviction. Sans doute, ces contemporains ont cultivé tous deux la peinture à sujets, qui retint longtemps les préférences du goût français;
ils ont rajeuni, chacun dans son domaine, la tradition de notre Poussin qui passait jadis pour « un grand conteur d'histoires » ; mais le Moyen âge fortement
coloré par Jean-Paul Laurens ne ressemble guère au Moyen âge finement dessiné par Luc-Olivier Merson.
Laurens cherchait dans les Récits des temps mérovingiens la tragédie de la mort et le drame des siècles défunts: il les évoquait en réaliste et les décrivait
en portraitiste, sans raffinement d'archaïsme, et comme des événements qu'il aurait pu voir; Merson, plus subtil, empruntait, d'ailleurs discrètement,
la composition naïve et la palette suave des enlumineurs contemporains des spectacles qu'il imaginait dans son atmosphère de légende; et sa fantaisie
savante nous a transmis un Moyen âge clair, lumineux, raisonnable, à la française, où l'imagination ne bannit jamais la mesure, où l'émotion même de
la plus sincère poésie ne cesse point de sourire. En nous initiant à l'envers du théâtre, l'illustration d'un Mystère de Noël
au XVè siècle devient
très volontiers satirique et ne demeure-t-elle pas ainsi dans nos traditions?
L'approche de la Renaissance ajoute à ce Moyen âge un singulier parfum d'atticisme, qui pénètre doucement la grâce de ses nus et la rareté de ses tons:
« la forme seule n'est rien, mais il n'y a rien sans la forme » ; et quel plus salutaire exemple que la délicate fermeté d'un dessin classique ?
Aussi bien, notre temps d'outrecuidante et prétentieuse ignorance aurait-il quelque avantage à considérer longuement les dessins de Merson,
le galbe exquis d'une figure ou les études de paysage, qui permettaient au moins impressionniste de nos maitres de multiplier les détails avec
la docte ingénuité d'un Préraphaélite français: un aussi respecteux amour de la nature engendre le contraire d'un style abstrait, scolastique et sans âme;
et le grand dessinateur qui retraçait si loyalement le profil d'une fleur, d'un fruit, d'un oiseau, d'une branche de fenouil ou de chèvrefeuille,
ne présage-t-il pas la rénovation nécessaire - je n'ai pas dit la réaction - qui, silencieusement, se prépare?
RAYMOND BOUYER |
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