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Luc Olivier Merson, par Raymond Bouyer - Gazette des Beaux-Arts
par RAYMOND BOUYER, Gazette des Beaux-Arts Juillet 1922
GAZETTE DES BEAUX-ARTS Juillet 1921 63 ème année. 718 ème livraison. 5ème période. Tome IV
LUC-OLIVIER MERSON (1846 - 1920)
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PORTRAIT DE LUC-OLIVIER MERSON par FRANÇOIS SCHOMMER (1885) |
« J'aime et j'admire surtout les qualités que je n'ai point », disait un « amoureux d'art»; et, si paradoxale en toutes choses, notre époque aurait-elle adopté
ce point de vue du trop oublié Jean Dolent. On serait tenté de le croire à l'heure où la plus violente intransigeance abandonne
l'impressionnisme pour exalter la ligne d'Ingres; et s'il est vrai que nous estimons avant tout les dons ou les biens qui nous échappent,
quel maître, parmi les plus récemment disparus, méritait mieux l'hommage de nos regrets que Luc-Olivier Merson.
Une imagination servie par un impeccable savoir : tel était ce maître, aussi scrupuleux que discret. |
« Vous êtes musicien et vous avez de l'esprit ! » disait Voltaire à Grétry; pareillement, nous aurions voulu dire à ce charmant
ennemi de la mode et de la vogue: « Vous êtes peintre, et vous avez de l'imagination, vous osez traduire des légendes sur la toile et montrer
des idées, alors que fleurit tyranniquement le morceau de peinture sous forme de nature morte ou de « chose vue » ; et, ces idées pittoresques,
vous n'avez jamais dédaigné de les sertir élégamment dans une forme châtiée, cependant que le vague le plus rudimentaire et le mépris du dessin
sont tenus pour une expression du génie ».
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Au Salon de 1920 déjà, par ce temps de sensation tapageuse et d'à peu près brutal, voilà ce que nous dictait silencieusement l'exposition
de ses admirables dessins, qui valait au vieux maître une médaille d'honneur aussi tardive que sa cravate de commandeur; et, mieux encore,
l'exposition posthume de Son œuvre à l'École des Beaux-Arts nous aura permis de retrouver la place très personnelle du peintre dans l'histoire
confuse de la peinture contemporaine en dégageant la bienfaisante signification de son art.
C'est dans son œuvre seulement, dans la beauté qu'il a fait naître et qui lui survit, qu'il faut apercevoir la personnalité défunte d'un véritable artiste;
mais, de son caractère, un reflet subsiste à nos yeux dans le miroir de ses portraits:
celui, daté de 1885, que M. Schommer dédiait « à son ami »
dans la pleine maturité de ses trente-neuf ans; vingt-trois ans plus tard, le fin crayon que M. Friant dédiait au maître sexagénaire déjà voûté par
un infatigable labeur, sans oublier
le pastel où le grand-père a voulu se représenter lui-même auprès de ses petits-enfants: témoignage expressif déjà,
car le portrait n'est pas moins rare dans l'œuvre de cet imaginatif que dans le monde idéal construit par Puvis de Chavannes ou par Gustave Moreau.
Sa carrière, en cinquante ans de travaux, nous révèle un indépendant demeuré tel à l'Institut, qui l'accueille le 3 décembre 1892 à la place du vieux Signol,
comme Jean-Paul Laurens qccupait depuis le 4 avril 1891 le fauteuil de Meissonier. Singulier académicien que ce solitaire, ermite ingénieux de l'art contemporain
! Son cursus honorum, aux titres rares, espacés, où chaque promotion se fait vingt ans attendre, apporte une preuve irrécusable à la sincérité de son isolement;
et nos meilleurs historiens de l'art moderne auront une excuse toute prête pour avoir paru l'oublier trop longtemps: absorbé par les vastes décorations
de nos monuments publics ou par les petites illustrations de quelques chefs-d' œuvre de notre littérature, il ne montrait presque plus rien
depuis dix-sept ans, ce rare exposant de 1867 à 1920, qui ne figure au livret que dix-huit fois en cinquante-quatre ans marqués par cinquante Salons.
Encore plus que le secret des événements collectifs, la personnalité d'un artiste appartient à ces « impondérables » qui défient l'analyse; cependant, à ceux que préoccupe l'empreinte héréditaire, les origines expliquent une part du talent.
Contemporain du médailleur
Roty, qui lui ressemble par la distinction du charme dans la précision du contour, ce Parisien, qui naissait rue Gracieuse le 21 mai 1846, était Breton, du moins par l'ascendance paternelle : son père et son grand-père, son oncle et son grand-oncle ont compté parmi les écrivains nantais; à Nantes s'est écoulée une partie de son enfance;
et, loin de contrarier sa vocation précoce, son père
Olivier Merson, peintre devenu très tôt critique d'art par impuissance à réaliser son rêve, a consolé ses découragements en guidant la belle ardeur naissante de son fils.
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Dans une volumineuse étude sur La Peinture en France, le salonnier de 1861 défend d'abord l'école de Rome contre ses détracteurs
déjà nombreux, définit la peinture religieuse « la plus haute sphère de l'idéal» à propos des « magnifiques travaux » d'Hippolyte Flandrin,
dont la « majesté naïve » lui rappelle les productions des vieux âges, oppose les néo-grecs et leur frêle
LE SOLDAT DE MARATHON, PAR LUC-OLIVIER MERSON (GRAND PRIX DE ROME, 1869)
(Ecole des Beaux-Arts, Paris.)
élégance à l'invasion barbare que sont, à ses yeux, les réalistes et combat surtout la tyrannie de la mode;
mais le début grandiose d'un Puvis de Chavannes lui permet de « saluer avec joie» le réveil du grand art. Tandis
que les brocanteurs envahissent le temple, ce « noble effort» le rassure; car, sous ses dehors séduisants, l'art du Second Empire
l'effraie par une « absence de pensée »: en ce temps d'indifférence, « où sont », écrit-il, « les artistes qui travaillent avec l'âme,
moins poussés par le désir de plaire à la masse que par cet entraînement qui vous fait jeter sur la toile une pensée idéale et rêvée? »
Ne dirait-on pas que le père ait deviné le fils dont les premiers succès le rendront si fier, et qui doit illustrer son nom?
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Le vieil idéalisme breton, discipliné par une éducation classique, s'est donc transmis de l'un à l'autre dans une intimité journalière,
avec ces « principes vivifiants et forts» que le critique Olivier Merson rêvait « pour l'initiation de la jeunesse ».
Disciple avant tout de la parole paternelle, le peintre Luc-Olivier Merson s'est toujours inscrit au livret des Salons comme l'élève de
G. Chassevent et de Pils : deux noms inégalement oubliés, qui caractérisent ses études, d'abord à l'École de dessin, « la petite École », devenue
l'École des Arts décoratifs, où professaient Lecocq de Boisbaudran, Laemlein et Chassevent, puis, à partir de 1864 ,à l'École des Beaux-Arts,
à l'atelier du peintre alors populaire de La Marseillaise et de La Bataille de l'Alma: solides et loyales études, où la savante Renaissance apprend le secret lumineux de la forme au vieux rêve celtique qui se réveillait sous un front d'adolescent.
A l'en croire, ce peintre si cultivé n'aurait fait que de pauvres études classiques : c'est seulement en tenant un crayon, que ce beau dessinateur
s'affirmera sans le savoir un grand latiniste, interprète du Moretum de Virgile ou des Trophées...
Ne montrait-il point, d'ailleurs, la même sévérité souriante pour
les sujets grecs de ses débuts au Salon:
Leucothoë et Anaxandre, en 1867,
Pénélope, au geste déjà révélateur d'une âme originale, en 1868,
Apollon exterminateur, inspiré par le premier chant de l'Iliade, en 1869 ? Mais sa première œuvre vraiment significative est son « prix de Rome» :
comme son ainé de trois ans, l'impétueux coloriste Henri Regnault, si curieusement grec au concours de 1866, le fin styliste Olivier Merson se révèle
au concours de 1869 : il monte, à vingt-trois ans, le premier en loge et conquiert d'emblée le grand prix avec
Le Soldat de Marathon,
composition scolaire, mais ingénieuse en son décor d'Acropole d'Athènes, « où sont déjà visibles les qualités de dessin et cette conception pittoresque
des choses qui apparente quelquefois l'admirateur du Moyen âge à nos maîtres enlumineurs ». Et l'auteur de cette remarque ajoute vite:
« Si le séjour de Rome a permis au lauréat de 1869 un dessin plus impeccable, peut-être a-t-il affaibli les naïfs dons d'imprévu qui rendent
si intéressant ce prix et qui donneront plus tard à l'artiste l'idée du
Repos en Égypte et de
Saint François d'Assise prêchant aux poissons 1 ».
Depuis la Renaissance, cette influence de l'Italie sur l'art français n'estelle pas le problème capital de l'art moderne, et qui
divise toujours les « gothiques » et les « humanistes» ? Les deux tendances rivales sauront se réconcilier discrètement dans la classique originalité
de Luc-Olivier Merson :
1. Charles Saunier, Les Grands prix depuis la fondation du prix de Rome (Paris, Revue encyclopédique, 1896, p. 31).
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LE LOUP DE GUBBIO, PAR LUC-OLIVIER MERSON (1878) (Musée de Lille)
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